LES HUMAINS SONT BONS PAR NATURE

Rutger Bregman en 2020. Image Presse Seuil.

«LES HUMAINS SONT BONS PAR NATURE»

La conviction rousseauiste d’un jeune historien «utopiste réaliste» refusant «la banalité du mal»

Par Frédéric Joignot

NEWS NEWS NEWS C’est une espèce rare. Le jeune historien néerlandais Rutger Bregman, 32 ans, croît en l’humanité. Son dernier essai publié fin 2020 en France, Humanité. Une histoire optimiste (Seuil), best-seller en Europe, est à ce jour traduit dans 40 pays. Il y défend une idée simple, révolutionnaire et de plus en plus inaudible : les humains sont bons, ils cherchent depuis toujours à s’entendre et à vivre en paix, seuls l’adversité, les idéologues politiques ou religieux et les pouvoirs tyranniques et rivaux les en empêchent. Aujourd’hui, ils pourraient enfin y parvenir s’ils se persuadaient qu’ils ne sont pas aussi mauvais que beaucoup d’historiens, de politiciens et de philosophes le prétendent…

Pour nous en convaincre, Bregman revisite plusieurs grands moments de l’histoire mondiale, décrypte les théories courues sur la «banalité du mal», montrant que depuis toujours les peuples et les gens cherchent à s’entendre et à coopérer, mais qu’ils sont trop souvent trahis par leurs élites. Il commence par remonter au temps pacifiés des chasseurs-cueilleurs, s’intéresse aux soldats qui refusent de se battre à toutes les époques, raconte les mouvements de solidarité nés pendant des catastrophes, et défend la théorie du «bon sauvage» de Jean-Jacques Rousseau.

A 27 ans, déjà, après des études d’histoire, il publiait un premier essai best-seller, publié dans 23 pays, Utopies réalistes (Seuil 2017). Dans cet ouvrage tonique, il rappelle que plusieurs des grandes conquêtes politiques du siècle dernier — la fin de l’esclavage, le suffrage universel, le droit de vote des femmes… — ont longtemps été considérées comme des utopies irréalisables, défendues par d’incurables optimistes. Il y affirme qu’aujourd’hui trois utopies concrètes deviendront demain évidentes : 1) éradiquer la pauvreté par un revenu universel, 2) profiter de la robotisation et en finir avec le chômage et les travaux inutiles avec une semaine de travail de 15 heures qui permettra aux humains d’inventer de nouvelles activités, et 3) réduire la pauvreté mondiale en laissant les gens aller et venir, gagner de l’argent et puis retourner chez eux, grâce à l’ouverture de toutes les frontières [1].

Pour les étayer, Bregman l’utopiste «réaliste» appuie ses propositions sur un nombre considérable d’études et d’expertises. C’est sa manière. Dans ses deux essais. Il entend prouver «la banalité du bien» chez l’humain, son universalité. Bien sûr, on trouvera que parfois il fait preuve d’un optimisme forcé ou même de naïveté, ce à quoi il répond : «La méfiance envers le peuple a toujours servi a légitimer l’inégalité et la tyrannie». De son second livre, Yuval Noah Harari, l’auteur de Sapiens, nous dit : «L’ouvrage de Rutger Bregman m’a fait voir l’humanité sous un nouveau jour» ENTRETIEN (publié dans le N%32 de la revue We DEMAIN)

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À lire votre ouvrage, on se demande : «Vous êtes le derniers des optimistes, ou le premier d’une nouvelle génération ?»

Je m’inscris dans un mouvement à la fois scientifique et générationnel qui depuis une décennie remet en cause une vision sombre et défaitiste de l’humanité toujours très influente. Selon cette vision, qui a été revitalisée dans les années 1950 suite aux crimes nazis survenus dans un pays hautement civilisé, les humains seraient naturellement égoïstes, agressifs, violents, racistes, enclins à se combattre et s’entre-tuer dès qu’ils traversent une crise grave ou affrontent une catastrophe. Leur vernis civilisé s’effondre et ils révèlent leur vraie nature, qui est mauvaise et haineuse…

J’en suis venu à penser le contraire suite aux nombreuses recherches faites ces vingt dernières en anthropologie, en archéologie, en sociologie, en psychologie sur l’empathie, l’entraide, les réactions de solidarité dans les situations de drame et de guerre. J’en ai dégagé cette idée force : les humains ne cherchent pas à s’entre-déchirer au premier drame, au contraire, en général ils s’entraident, ils se montrent altruistes, ils fraternisent… C’est un comportement qu’on retrouve dans la plupart des grands moments tragiques de l’histoire, j’en donne plusieurs exemples dans mon livre, comme les attitudes secourables des Anglais pendant les bombardements du Blitz en 1940-41, ou la solidarité apparue au cours de l’ouragan Katrina à la Nouvelle-Orléans en août 2005, ou bien dans l’enfer des escaliers des tours du World Trade Center le 11 septembre 2001… Au-delà des exceptions qui confirment cette règle, on assiste à ces mêmes attitudes de coopération, de convivialité, de patience et de respect dans nos vies quotidiennes, à un niveau social, familial, amical, à notre travail, dans la vie collective. Elles sont en fait si prégnantes, si enracinées en nous, si intimement liée à la nature humaine que nous n’y prêtons plus attention.

Je retrouve aujourd’hui cette attitude coopérative et généreuse dans la nouvelle génération. Ils sont progressistes, activistes, utopistes, solidaires, ils défendent des idéaux pour lesquels ils sont prêts à se battre, ensemble, partout. Voyez l’énorme mobilisation des lycéens Fridays for Future, ou encore l’essor de Black Lives Matter aux Etats-Unis. Ce sont des mouvements contagieux, qui redonnent confiance dans l’humanité. Je pense que l’espoir, l’utopie concrète et l’activisme sont le nouveau réalisme de notre temps, et mon livre s’inscrit dans cette vague de fond…

Vous proposez rien de moins qu’une histoire optimiste de l’humanité… Vous pensez vraiment que les premiers hommes étaient déjà bons ?

Il est évidemment difficile de savoir avec exactitude comment les populations humaines vivaient au temps des chasseurs-cueilleurs, mais nous pouvons cependant nous appuyer sur nombre d’études anthropologiques sur les peuples qui ont continué de vivre, jusque très récemment, comme nos ancêtres. Il y a cette méta-analyse de 339 études de terrain faites en 2012 par Christopher Boehm, un anthropologue américain, les études réalisées en Amérique Latine par Douglas Fry regroupées dans The Human Potential for Peace (Oxford Université, 2005), ou encre celles de plusieurs collectifs d’anthropologues publiées dans Plos One et dans Nature en 2012 et 2014… Elles nous rapportent que les humains originels détestaient les inégalités, que les décisions sociétales et politiques se prenaient collectivement, et qu’ils se méfiaient de l’autorité les chefferies s’imposaient par leur savoir-faire et leur charisme non par la violence. Les premiers hommes, des nomades, développent des mœurs conviviales, respectent les femmes en leur offrant une place sociale importante, travaillent peu et profitent de l’existence, la nature leur offrant ce dont ils ont besoin.

Bien sûr, il leur arrive de s’affronter entre différentes tribus, mais généralement, les recherches concordent sur ce point, les batailles font très peu de morts, s’arrêtent rapidement, demeurent symboliques. Rappelons que tous les grands explorateurs européens font état de la générosité et la douceur des peuples premiers qu’ils découvraient. Dans son journal et ses lettres, Christophe Colomb raconte combien les habitants des îles où il a accosté se montraient accueillants. Il écrit avec étonnement : «Quoiqu’on leur demande de leurs biens, jamais ils ne disent non. Bien plutôt invitent-ils la personne et lui témoignent-ils tant d’amour qu’ils lui donneraient leur cœur.» Il insiste sur leur caractère pacifique : «Ils ne portent pas d’armes ni même ne les connaissent, car je leur ai montré des épées que, par ignorance, ils prenaient pas le tranchant, se coupant.». Une découverte qui va le décider à les «coloniser» au nom des suzerains espagnols : «Avec cinquante hommes, assure-t-il, (vos Altesses royales) les tiendraient tous en sujétion et feraient d’eux tout ce qu’Elles pourraient vouloir».

Au fond, vous défendez la théorie du «bon sauvage» de Jean-Jacques Rousseau ?

En effet, toutes mes recherches m’ont poussé du côté de Jean-Jacques Rousseau et de sa conception d’une nature humaine fondamentalement bonne mais pervertie par des civilisations violentes et tyranniques. C’est lui qui écrit dans le préambule du Contrat Social (1762) : «L’homme est né libre partout et il est dans les fers.». Qui s’écrie dans son Discours sur les origines et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1775) : «Vous êtes perdus si vous oubliez que les fruits sont à tous et que la terre n’est à personne.». Rousseau a longtemps été considéré comme un naïf et sa théorie du «bon sauvage» a été très critiquée, on lui a opposé le «réalisme» de Thomas Hobbes, le philosophe britannique qui publia en 1651 Le Léviathan, le premier traité de politique moderne.

Pour Hobbes, l’homme originel est fondamentalement mauvais, cruel, égoïste [2], sa liberté le mène à tuer ses rivaux et s’emparer de ses biens, «la guerre de tous contre tous» règne, cela dès les débuts de l’humanité. Pour y mettre fin, il faut, assure Hobbes un État et un souverain forts, disposant de forces de police, et que l’individu comme le peuple abdiquent leur liberté au profit de la sécurité et de la paix sociale… Il est intéressant de confronter les théories de Hobbes et de Rousseau aux dernières recherches en histoire et en anthropologie. Si Hobbes a raison, alors les premiers hommes auraient dû accueillir avec joie les premiers états forts, c’est-à-dire les premiers chefs de tribu, les premiers rois. Or rien n’est plus éloigné de la vérité historique à en croire les études de James Scott, Homo Domesticus (La Découverte, 2019) ou de l’anthropologue Pierre Clastres, La Société contre l’État (Ed de Minuit, 1974).

Dans les faits, les peuples de chasseurs-cueilleurs fuyaient les premiers gouvernements despotiques, que ce soit dans l’Égypte pharaonique, ou encore en Mésopotamie et en Grèce, et cela pour plusieurs raisons. C’était des régimes tyranniques et esclavagistes, ils collectaient des impôts qui écrasaient le peuple, ils enrôlaient de force les hommes jeunes dans leurs armées, ils possédaient les terres et transformaient les paysans en serfs. Cela donne raison à la critique de Rousseau, qui dénonçait la sédentarisation forcée, la prise du pouvoir politique et foncier par des seigneuries et des royautés despotiques, les guerres de conquête, l’urbanisation insalubre…

Parlez-nous de «la théorie du vernis civilisé» qui craque dès que les humains traversent une crise grave…

C’est le biologiste Frans de Waal, spécialiste des comportements empathiques dans le monde animal, qui a défini ce qu’on appelle «la théorie du vernis». Selon celle-ci, la civilité ne serait qu’une mince couche brillante mais fragile… Elle craque à la première situation difficile, suite à quoi l’humain révèle alors sa vraie nature, violente, sadique et égocentrique. Cette conception a ses grands défenseurs depuis Nicolas Machiavel, qui écrivait «Souvenez-vous que les hommes seraient des tyrans s’ils le pouvaient», jusqu’à Sigmund Freud qui assurait que «nous sommes les descendants d’une immense chaîne de génération de meurtriers. Nous avons le meurtre dans le sang» [3].

Un des ouvrages les plus fameux mettant en scène la théorie du vernis est sans doute Sa Majesté des Mouches (Gallimard 1956) du britannique William Golding, prix Nobel de littérature 1983. Il a été vendu à des dizaines de millions d’exemplaires, traduit dans 13 langues, adapté au cinéma, et raconte l’histoire tragique de 15 écoliers de la haute société anglaise qui se retrouvent sur une île déserte suite à un accident d’avion. Rapidement, leur bonne éducation se fendille, ils forment une tribu violente qui honore un dieu à tête d’animal, organise des chasse à l’homme, opprime les faibles. William Golding écrit : «L’homme produit le mal comme l’abeille produit le miel».

Rappelons que Sa Majesté des Mouches est une fiction. Dérangeante, frappante, mais une fiction. Il n’y a pas l’ombre d’une preuve que des enfants abandonnés à eux-mêmes agiraient ainsi. Cela m’a motivé pour enquêter, j’ai fini par découvrir une histoire similaire, celle de six jeunes Polynésiens qui se sont échoués en 1966 sur la petite île déserte de ‘Ata, dans l’archipel des Tonga. Ils y sont restés quinze mois. Il n’y a eu aucun mort. Pas de panique. Ils ont survécu grâce à leur solidarité, ils ont cultivé un potager, élevé des poules, installé un terrain de football et entretenu un feu permanent pour prévenir d’éventuels sauveteurs. Cette histoire raconte une toute autre histoire d’amitié et de loyauté. La belle réalité dépasse la triste fiction…

Une autre belle histoire est celle des soldats qui ne tirent pas…

Après la Seconde Guerre mondiale, des historiens américains entreprirent d’interroger des vétérans, et ils découvrirent que plus de la moitié d’entre eux n’avaient jamais tué personne, et que la plupart des victimes étaient dues à une petite minorité. Ainsi, le colonel et historien Samuel Marshall questionna les soldats qui avaient débarqué en novembre 1943 dans l’île de Nankin, dans l’océan Pacifique, pour déloger les Japonais. Quoique supérieurs en nombre, ils campèrent sur leur position, sans faire reculer l’ennemi. Marshall se rendit compte que la plupart des soldats occupaient leurs bastions, mais sans tirer. Troublé, il mena plusieurs entretiens auprès d’autres soldats, et s’aperçût que seulement 15 à 20% d’entre eux tiraient — que l’immense majorité s’y refusait. Ce n’est pas qu’ils avaient peur ou quittaient leur poste, non, ils répugnaient à tuer.

Marshall consigna ses enquêtes dans son ouvrage Men Againt Fire, paru en 1947, présent dans toutes les académies militaires, où il écrit : «L’homme ordinaire et sain d’esprit manifeste une telle résistance intérieure et généralement inconsciente à la perspective de tuer un de ses semblables qu’il ne lui ôtera pas la vie de son propre chef.» D’après lui, le refus de l’agression fait partie intégrante de la «constitution émotionnelle» des hommes. Il pensait très sérieusement que ses analyses concernaient tous les soldats, de toutes les guerres, de tous les temps.

Marshall a été critiqué par la suite…

C’est vrai, des historiens ont estimé qu’il avait surinterprété les témoignages des soldats pacifiques et tordu le cou à la réalité. Cependant, peu à peu, d’autres recherches historiques et en psychologie militaire ont réévalué ses découvertes, comme celles du britannique Richard Holmes dans Act of War (1986), du lieutenant-colonel américain Dave Grossman dans On Killing (1996) ou du canadien Richard A. Gabriel dans No more heroes (1987). Elle montrent par exemple que moins de 1% des pilotes de chasse américains ont été responsables de 40% des avions ennemis abattus pendant la guerre de 39-45 — la plupart des pilotes «n’avaient jamais abattu quelqu’un, ni même essayé» écrit Gabriel. Que dans les années 1860, à lire les questionnaires distribués dans l’armée française par le colonel Ardant du Picq, les armées européennes se tiraient dessus pendant des heures sans faire beaucoup de blessés. Pourquoi ? Les soldats visaient exprès trop haut, nombre d’entre eux s’affairaient à autre chose qu’à tirer : construire un abri, aller chercher des munitions, etc. Le lieutenant-colonel Dave Grossman fait ce commentaire : «La conclusion la plus évidente de tout cela, c’est que la plupart des soldats n’essayaient pas de tuer l’ennemi.»

Toutes ces recherches contredisent la théorie de l’homme violent par nature, prédisposé au meurtre. En réalité, pour qu’un humain, soldat ou non, soit capable de tuer, il doit être conditionné à le faire [4]. Il faut briser son empathie et sa pitié naturelles, déshumaniser l’ennemi, lui faire subir un lavage de cerveau, ou encore le droguer, le rendre psychotique. Qui plus est, quand les soldats reviennent de combats violents, où ils ont tué, ils sont gravement traumatisés, parfois en état de démence. Tout cela veut bien dire quelque chose : nous ne sommes pas faits pour la guerre et la violence, nous sommes des créatures empathiques et conviviales, qui cherchons à vivre en paix, avec tout le monde… Mon optimisme est un réalisme…

Source : Le Monde https://www.lemonde.fr/blog/fredericjoignot/2021/04/18/les-humains-sont-bons-par-nature-la-conviction-rousseauiste-dune-jeune-philosophe-entretien/ , publié le 18 avril 2021.

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NOTES DE BIBICABAYA :

1 Avant les deux première guerres mondiales, il n’existait pas de passeports, de cartes d’identité ni de visa, et chacun, d’où qu’il fut dans le monde, pouvait se déplacer (aller et venir) où il le souhaitait.

2 L’Homme est créé à l’image de son Créateur : il est donc bon, intelligent, créatif, compatissant, etc. par nature.

3 Il parle pour lui évidemment… étant issu de la mafia khazare dont on connaît les méfaits d’armes.

4 Comme, par exemple, les «soldats» de Daesh, Al Qaïda, ISIS et l’État Islamique (entités créées par la mafia khazare) qui opèrent sous l’influence de la drogue captagon… preuve que d’eux-mêmes, dans leur état normal et sans conditionnement préalable et sans l’usage de cette drogue, ils ne choisiraient pas de devenir des meurtriers. 

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