LÂCHER PRISE DE PAPA ET MAMAN
Par Anna von Reitz
Ma mère était une femme brillante et une épouse et une mère fidèles. Elle était, à bien des égards, un roc. Toutefois, elle n’était pas tout à fait normale ou saine d’esprit ; elle avait beaucoup souffert dans sa vie et souffrait de syndrome de stress post-traumatique qui devenait régulièrement incontrôlable.
Cela conduisait à tout : de la paranoïa à de graves accès de colère et de dépression qu’elle infligea à ma sœur et moi. Cela signifiait également que pour survivre intacte, je dus me distancer de ma mère dès mon plus jeune âge, reconnaître qu’elle avait ces problèmes pour ces raisons et, dans un certain sens, lâcher prise d’elle.
Je dus comprendre le point sombre où elle se tenait et ses efforts constants pour me protéger de cette obscurité, même en discernant la réalité du moment présent. Ce ne fut pas chose facile. Ma Sœur ne réussit jamais à se séparer entièrement des dommages mentaux de mère, et souffre encore parce qu’elle sent qu’elle n’a jamais eu de mère — alors qu’elle en voulait une et en avait besoin.
De nombreuses gens ont des problèmes similaires avec leurs parents : soit parce que leurs parents ont été endommagés par leurs propres parents ou par les difficultés de la pauvreté ; soit à cause d’attaques sociales (race, croyance, couleur, religion, sexe, âge) ou de la guerre ; soit à cause de l’alcoolisme, de la dépendance à la drogue ; ou à cause de toutes les autres raisons qui rendent les gens inaptes, incapables ou indésirables en tant que parents.
Nous ne pouvons pas laisser les blessures de nos parents être nos blessures. Nous ne pouvons pas laisser le cycle de la peur, de la colère et de la haine se poursuivre. Les guerres mercenaires dans lesquelles notre pays est constamment impliqué depuis plus d’un siècle et demi signifient que des millions d’Américains ont été plus ou moins mutilés par la perte d’amis et de famille, la perte de leurs membres, la perte d’intégrité mentale, la perte de sécurité, la perte de paix, la perte de confiance, la perte de culture, la perte d’intégrité familiale, la perte de normes morales, la perte d’un ensemble commun de valeurs nationales, la perte de religion… La liste est longue. Encore plus longue.
Nous sommes toute une nation de blessés ambulants. Pratiquement personne — y compris les conscrits réfractaires ayant réussi à échapper à la conscription — n’a échappé indemne aux horreurs de la Première Guerre mondiale, de la Seconde Guerre mondiale, des guerres de Corée, du Vietnam, du Golfe I, du Golfe II, d’Afghanistan et de toutes les centaines d’incursions horribles dans d’autres pays dans lesquels nous avons été aiguillonnés et trompés.
Non seulement ma mère a été endommagée par la Seconde Guerre mondiale, mais mon père aussi ; sa vie et sa qualité de vie ont été grandement tronquées par des blessures physiques subies et jamais indemnisées. Il a, en quelque sorte, trouvé la force de rire face à une mort longue et terrible.
Oui, la plus Grande Génération fut peut-être la plus grande, mais elle fut aussi la plus endommagée.
La plupart des pères de mes amis n’étaient pas intacts émotionnellement : froids, distants, violents, compétitifs, motivés par le profit, insensibles, indifférents, critiques, exigeants et amoraux, ils ont piétiné leurs enfants, leurs femmes et leurs maîtresses — causant une explosion de mères célibataires et de bébés abandonnés.
Pour moi, la maladie de mon père signifiait que de quinze à vingt-cinq ans, je devais être salariée active et infirmière, bricoleuse et mécanicienne. J’ai dû me débrouiller pour aller à l’université. J’ai dû faire la plonge et promener des chiens et faire toutes les basses besognes qu’on peut imaginer, simplement pour m’en sortir et essayer de faire face à tous les autres chagrins et leçons apprises en tant que jeune adulte. À la mort de mon père, j’avais les yeux d’une femme de quarante ans.
J’ai chanté à ses funérailles sans laisser ma voix trembler. Pour la mère que je n’ai jamais vraiment connue dans son ensemble, pour le père que j’ai tant aimé et perdu si tôt et dans des conditions si terribles, pour la pauvreté et le labeur, pour tout cela, je pourrais certainement pleurer et abandonner, céder aux accès de colère de douleur et de culpabilité ainsi qu’à toute autre émotion qui n’aide pas. Après tout, est-ce que tous les enfants ne regardent pas leurs parents en pensant : «eh bien, si ça leur est arrivé, ça m’arrivera probablement à moi» ?
Je n’ai pas abandonné. Je n’ai pas laissé la misère de mes parents devenir la mienne. Je les ai aimés au mieux de mes capacités pendant qu’ils vivaient et puis, une goutte à la fois, j’ai lâché prise d’eux. Beaucoup de gens essaient de faire face au chagrin tout à la fois et tout seuls. Je déconseille cette approche. Mieux vaut se tenir à une distance respectueuse et laisser le chagrin venir à vous, un peu ici, un peu là, dans les moments calmes, dans les moments joyeux… Laissez-le simplement venir, une goutte ici et une goutte là , jusqu’à ce que le réservoir de chagrin ait disparu et qu’il ne reste que les souvenirs qui valent la peine d’être conservés.
Beaucoup de gens sont pris dans des boucles de rétroaction émotionnelle, revivant sans cesse des incidents qui leur ont causé de la douleur et de la peur ou de la honte ou de la colère, ou une combinaison de tout cela, incapables de s’en sortir. Pour beaucoup d’entre nous, ce genre de dommage s’est produit quand nous étions si jeunes, il ne nous est jamais venu à l’esprit que nous pourrions sortir de cette misère et nous en distancer. Repensez-y comme si c’était arrivé à quelqu’un d’autre dans une autre vie.
Et que nous ayons connu nos parents ou non, nous sommes en quelque sorte conscients que ces deux relations primordiales comptent — ou étaient censées compter, ce qui nous fascine et souvent nous trouble doucement, même à l’âge adulte. Pourquoi a t-il fait…? Pourquoi a t-elle… ? Comment a-t-elle pu… ? Et le plus obsédant de tout : Était-ce ma faute ? Aurais-je pu changer cela d’une manière ou d’une autre ?
La réponse, bien sûr, est qu’aucun enfant ne porte la culpabilité de l’échec des relations parent-enfant, et souvent les parents non plus, qui luttent contre leurs propres limites et démons. En fin de compte, si nous parvenons à grandir en bonne santé physique et mentale, nous devons nous estimer chanceux et apprendre à gérer les cicatrices émotionnelles de grandir dans une société de guerre de tribus où presque tout le monde a été blessé et estropié par la guerre, la guerre, la guerre, la guerre et encore la guerre.
Et nous devons digérer le fait amer que 95% de toute ces violence, perte, dégradation et effusion de sang ne concernaient ni plus ni moins que le profit de l’homme riche, eh oui, contre la plupart d’entre nous — selon les mots des prophètes modernes Je ne suis pas un fils chanceux.
La majorité de nos parents qui étaient censés nous protéger et nous nourrir, ne pouvaient pas se protéger et se nourrir eux-mêmes. Ils étaient les victimes de la guerre, qu’ils en soient revenus ou non. Ils ont fait de leur mieux et, un après l’autre, ils ont perdu ; alors nous, leurs enfants, observons ce fait et creusons notre propre chemin vers la tombe.
Ou apprenons-nous à lâcher prise de tout ? Pas dans un grand raz de marée de déception, de colère ou de remords, mais goutte à goutte et petit à petit, jusqu’à ce que toutes nos blessures deviennent notre force… Jusqu’à ce que nous nous tenions comme de grandes forteresses intrépides, conscientes et vivantes, n’ayant plus besoin de blâmer personne, n’ayant plus besoin de nous excuser, n’aspirant pas à une autre vie ou à une autre réponse, mais satisfaits de la tâche qui nous attend : construire un nouveau monde.
Ce mois-ci, rendez visite à vos parents, vivants ou décédés. Amenez-les dans vos pensées et vos souvenirs. Regardez-les pour tout ce qu’ils sont et tout ce qu’ils ne sont pas. Acceptez-les. Acceptez-les simplement. Vous n’avez pas à les apprécier ou à les aimer. Vous n’avez pas à être d’accord ni à croire. Regardez-les et leurs vies avec autant d’objectivité que possible… et lâchez prise. Laissez les être. En paix. Vous ne faites pas cet examen pour eux, même si cela peut vous amener à voir des choses que vous n’aviez jamais vues auparavant. La compassion des adultes a une manière de remplacer le chagrin de l’enfance, mais même si ce miracle ne se produit pas, vous pouvez avoir la paix. Vous pouvez vous offrir ce cadeau en cette année nouvelle et être libre comme un oiseau qui a trouvé ses propres ailes.
Traduit de l’anglais par BibiCabaya (08 janvier 2023)
Source : Anna von Reitz http://annavonreitz.com/lettingdadandmomgo.pdf
Note de BibiCabaya :
Si touchant et si vrai…
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