L’ALLIANCE DU SAHEL : L’HISTOIRE SANS FIN D’UNE LUTTE POUR UNE AFRIQUE LIBRE

L’ALLIANCE DU SAHEL : L’HISTOIRE SANS FIN D’UNE LUTTE POUR UNE AFRIQUE LIBRE

Par Lorenzo Maria Pacini

Une indépendance pleine et effective, avec souveraineté et autonomie, est possible, mais c’est un travail en cours.

Ouvrir la voie vers un avenir meilleur

Un conseil : gardez un œil sur l’évolution de la situation au Sahel. Et surtout, n’ignorez pas les raisons sous-jacentes et la manière dont l’Afrique renaît aujourd’hui grâce à l’alliance des pays du Sahel.

Le Burkina Faso, le Mali et le Niger sont trois États contigus enclavés occupant une vaste étendue de terre entre le sud du Sahara et la région soudano-sahélienne. Ensemble, ils représentent près de la moitié de la superficie totale de l’Afrique de l’Ouest –environ 45% – et environ 17% de sa population, avec un total de plus de 73 millions d’habitants (26,2 millions au Niger, 23,8 millions au Mali et 23 millions au Burkina Faso). Ces chiffres illustrent à eux seuls le poids démographique et géographique de la Triade sahélienne.

Les sociétés de ces pays partagent de fortes similitudes, résultat de siècles de relations culturelles et économiques, ainsi que de leur proximité géographique, qui a favorisé l’échange de normes et de pratiques sociales. Leurs cultures reposent encore largement sur des valeurs communautaires, la tradition orale comme moyen privilégié de transmission du savoir, des économies essentiellement agricoles et des structures sociales fortement influencées par la religion, qui façonne la vie des gens dans une ouverture verticale à l’existence.

Comme le reste de l’Afrique de l’Ouest, le Niger, le Mali et le Burkina Faso ont tous connu des contradictions de la domination coloniale française au XXe siècle, contradictions qui ont explosé de façon spectaculaire pendant la Seconde Guerre mondiale. Il est rarement mentionné dans l’historiographie officielle européenne qu’une proportion significative des soldats et des ouvriers qui ont été utilisés pour libérer l’Europe du nazisme venaient des colonies françaises d’Afrique de l’Ouest, y compris ce qui est aujourd’hui le Burkina Faso, le Mali et le Niger, avec des milliers d’Africains combattant et mourant sur le sol européen, et leurs expériences de guerre alimentant une nouvelle conscience politique qui a ouvert la voie aux revendications d’égalité et d’autodétermination.

Les premières organisations anticoloniales

Après la Seconde Guerre mondiale, dans un contexte de tentatives d’instauration du socialisme en Afrique, les mouvements anticoloniaux ont pris pied et ont obtenu des succès significatifs.

Passons aux étapes historiques Au Niger, le Parti Progressiste du Nigeria (RDA) a été fondé en 1946, rejoignant le Rassemblement Démocratique Africain, une importante coalition panafricaine et anticoloniale dirigée par des personnalités telles que Modibo Keïta au Mali et Ahmed Sekou Touré en Guinée. La RDA réclamait initialement l’égalité des droits pour les citoyens français, mais en quelques années, elle s’est éloignée d’une position de rupture totale avec le système colonial.

Au Burkina Faso, l’Union voltaïque a rejoint la RDA pour former un front commun de libération au niveau régional. Le socialisme au Burkina Faso a pris une signification particulière sous la présidence de Thomas Sankara, qui a transformé ce qui était alors la Haute-Volta en Burkina Faso «la terre des hommes intègres». Sa vision, inspirée du marxisme-léninisme mais fortement adaptée au contexte africain, visait un modèle de développement autonome fondé sur la justice sociale, la participation populaire et l’indépendance économique vis-à-vis des puissances coloniales et des institutions financières internationales.

Sankara s’est lancé dans un important programme de réformes qui comprenait la redistribution des terres, la promotion de l’agriculture de subsistance et l’alphabétisation de masse. Des milliers d’écoles, de puits et de centres de santé ont été construits dans les zones rurales pour réduire les disparités entre zones urbaines et rurales. Ses politiques favorisent le rôle des femmes en abolissant les pratiques traditionnelles oppressives et en encourageant leur intégration active dans la vie économique et politique du pays.

Le socialisme au Burkina Faso diffère du modèle soviétique par ses racines fortes dans la communauté et son accent mis sur l’autosuffisance. Il critiquait ouvertement la dette extérieure, qu’il considérait comme un mécanisme d’assujettissement néocolonial, et s’opposait à l’enrichissement personnel des dirigeants. Le leadership de Sankara était strict et charismatique alors qu’il cherchait à construire un sentiment d’identité nationale et de solidarité entre les citoyens à une époque très difficile pour les peuples africains du Sahel.

Malgré des avancées significatives en termes de développement social et infrastructurel, le projet socialiste du Burkina Faso s’est heurté à une opposition interne et externe. Le manque de ressources, l’isolement international et les conflits avec les élites locales ont conduit à des tensions croissantes, culminant avec un coup d’État en 1987 au cours duquel Sankara a été assassiné.

Immédiatement après, Blaise Compaoré prend le pouvoir et entame une période de trente ans marquée par un abandon progressif des politiques socialistes, le nouveau régime cherchant à normaliser les relations avec les puissances occidentales et les institutions financières internationales, libéralisant l’économie et limitant la portée des réformes populaires de Sankara. Ce changement a conduit à une désillusion croissante parmi les citoyens, les promesses de développement inclusif et de justice sociale ayant cédé la place à la corruption, aux inégalités et à l’instabilité.

En 2014, un mouvement populaire a forcé Compaoré à démissionner, inaugurant une période d’incertitude politique au cours de laquelle des gouvernements civils faibles ont été incapables de répondre à l’insécurité croissante exacerbée par la propagation des groupes djihadistes au Sahel. Les présidents suivants Roch Marc Christian Kabore et Paul-Henri Damiba n’ont pas réussi à stabiliser le pays ni à reprendre la voie du développement social, alimentant encore davantage le mécontentement.

Dans ce contexte de crise, le chef militaire Ibrahim Traoré a pris le pouvoir lors d’un coup d’État en septembre 2022, ravivant le rêve socialiste d’indépendance de Sankara et devenant un phare pour tous les peuples opprimés du monde entier.

La situation internationale a accéléré ce processus, notamment en raison de la présence politique de la France et de la Grande-Bretagne. La lourde défaite de la France en Indochine en 1954 et l’intensification de la guerre en Algérie, qui dura jusqu’en 1962, diminuèrent la capacité de Paris‘ à maintenir le contrôle de ses colonies. Charles de Gaulle tente de préserver au moins une partie de l’Empire en proposant un compromis : en 1958, il convoque un référendum sur la nouvelle constitution de la Ve République. Deux options se sont proposées aux territoires africains : voter «oui» pour rester dans la communauté franco-africaine, qui a laissé les centres de pouvoir sous influence française, ou voter «non» pour une indépendance immédiate,Cela risquait toutefois de provoquer des divisions politiques et un isolement économique.

Djibo Bakary – fondateur du parti Sawaba (qui signifie «liberté» en langue haoussa) et chef du gouvernement après les élections de 1957 – a mené la campagne du «Non». Seule la Guinée de Sékou Touré réussit réellement à rejeter l’offre de De Gaulle et devint en 1958 la première colonie française d’Afrique de l’Ouest à obtenir une indépendance immédiate.

Les dirigeants favorables à la sécession étaient souvent soumis à une répression interne, aggravée par la coopération entre les responsables coloniaux, les chefs traditionnels et la nouvelle élite africaine «Évoluée», qui avait été éduquée dans des écoles françaises et était destinée à maintenir l’ordre existant. De Gaulle envoya un nouveau gouverneur, Don Jean Colombani, qui mobilisa tout l’appareil administratif et sécuritaire pour saboter le référendum et affaiblir la Sawaba, qui s’opposait également à l’exploitation française de l’uranium nigérian. Grâce à une manipulation électorale massive, le vote «oui» a officiellement prévalu.

Néanmoins, la victoire de la Guinée en 1958, après l’indépendance du Ghana britannique en 1957, oblige Paris à céder progressivement. En 1960, 17 États africains – dont 14 anciennes colonies françaises– déclarent leur indépendance. Il s’agissait cependant en grande partie d’une «indépendance avec drapeau» : le symbole national changeait, mais pas la structure économique. L’influence française restait ininterrompue grâce à un réseau dense «d’accords de coopération», soutenus par des protocoles d’assistance technique, des accords de défense et, surtout, le système du franc CFA Paris assurait un contrôle important. Ces accords obligeaient les États africains à rembourser les infrastructures construites pendant la période coloniale (souvent par le travail forcé)Accordé à la France des droits de préemption sur les exportations stratégiques –notamment l’uranium –, garanti des exonérations fiscales aux entreprises françaises grâce au principe de non-double imposition, prescrit l’utilisation du franc CFA contrôlé par le Trésor français, limitant ainsi la souveraineté monétaire et fiscale et permettant le maintien des bases militaires françaises avec libre utilisation des infrastructures, y compris les communications et les transmissions.a rendu obligatoire l’utilisation du franc CFA contrôlé par le Trésor français, limitant ainsi la souveraineté monétaire et fiscale et permettant le maintien des bases militaires françaises avec libre utilisation des infrastructures, y compris les communications et la transmission.a rendu obligatoire l’utilisation du franc CFA contrôlé par le Trésor français, limitant ainsi la souveraineté monétaire et fiscale et permettant le maintien des bases militaires françaises avec libre utilisation des infrastructures, y compris les communications et la transmission.

Le cas du Niger est emblématique. Un accord de défense de 1961 avec la Côte d’Ivoire et le Dahomey (aujourd’hui Bénin) accordait à la France la pleine utilisation des infrastructures et des ressources militaires et définissait explicitement le rôle des forces armées françaises en tant que garantes des intérêts économiques, énumérant les matières premières stratégiques (hydrocarbures, uranium, thorium, lithium, béryllium) et exigeant des États signataires d’informer Paris de tous les projets d’exportation et de faciliter le stockage de ces ressources à des fins de défense française. De cette façon, l’appareil militaire est devenu un véritable instrument de protection des intérêts commerciaux et géopolitiques de Paris, qui ne voulait pas quitter l’Afrique car elle était trop importante pour maintenir sa puissance financière coloniale et gérer sa richesse interne sur le continent européen.

Autonomie et représailles

Après l’indépendance en 1960, Modibo Keïtas du Mali a cherché une voie autonome inspirée du socialisme : la création d’entreprises publiques, la nationalisation de secteurs importants et, surtout, l’introduction d’une monnaie nationale en dehors de la zone franc CFA en 1962. La réponse de la France a suivi immédiatement : isolement diplomatique, restrictions commerciales et suspension de l’assistance technique et financière. La crise économique qui en résulta ouvrit la voie au coup d’État du lieutenant Moussa Traoré en 1968, qui fut soutenu par la France et ramena le Mali dans la zone franc CFA en 1984.

Dans les années 1980 et 1990, avec la fin de la guerre froide, Paris reformule sa politique africaine et introduit «la conditionnalité politique» : Lors du sommet de La Baule en 1990, François Mitterrand affirme que l’aide sera liée à des réformes démocratiques comme le multipartisme. Dans le même temps, le FMI et la Banque mondiale ont imposé des programmes d’ajustement structurel (PAS) : austérité, coupes budgétaires dans le secteur public, libéralisation des échanges. Au Mali, ces mesures ont été accompagnées du retour au franc CFA en 1984.

La dévaluation du franc CFA en 1994 a été un deuxième choc : officiellement, elle visait à stimuler les exportations et à stabiliser les finances, mais en réalité elle a conduit à des hausses de prix, à une érosion des salaires et à des protestations généralisées. Cette nouvelle phase combinait la libéralisation économique avec des réformes de gouvernance imposées de l’extérieur : une façade de „démocratisation” qui consolidait le contrôle néocolonial par la dette, la privatisation et la restructuration de l’État menée par les donateurs.

Ces instruments de gouvernement ont été progressivement rejoints par une présence militaire occidentale, notamment américaine lorsqu’elle a lancé l’Initiative pan-sahélienne en 2002, qui a marqué le début d’une présence militaire permanente au Mali, au Niger, au Tchad et en Mauritanie et a ensuite été étendue au Burkina Faso avec le Partenariat transsaharien de lutte contre le terrorisme de 2005.

Depuis 2011, les opérations de la France et des États-Unis se sont intensifiées : drones américains, missions d’entraînement menées par l’AFRICOM, bases militaires de Gao, N’Djamena, Niamey, Ouagadougou, opération française Barkhane et force conjointe G5 Sahel (Burkina Faso, Tchad, Mali, Mauritanie, Niger). Beaucoup de choses ont changé. Le terrorisme religieux est également présent, maintenant la région dans un état d’insécurité et d’insécurité, qui est devenu un fléau difficile à combattre dans de nombreuses régions.

La même année, en 2011, la destruction planifiée de la Libye de Kadhafi a eu lieu, ouvrant la voie à un trafic d’armes incontrôlé et à la propagation de groupes djihadistes. La Libye était un pilier régional, mais les bombardements ont également contrecarré les efforts de médiation de l’Union africaine. Tôt ou tard, l’Occident devra payer pour les énormes dégâts qu’il a causés à la Libye.

Vers une indépendance toujours plus grande

Alors que l’intervention militaire portait atteinte à la souveraineté, les sociétés transnationales continuaient d’extraire des richesses du Sahel dans des conditions extrêmement injustes.

Cette dépendance économique chronique a consolidé le sous-développement structurel et limité la capacité des États à diversifier leurs économies et à négocier des termes de l’échange plus favorables. Il en résulte une fragilité permanente qui les expose à des pressions extérieures et alimente des crises politiques, sociales et sécuritaires dans lesquelles il n’est plus possible aujourd’hui seulement d’avoir une indépendance politique, mais l’indépendance économique est également nécessaire.

Depuis les années 1990, les coups d’État et les changements de régime sont devenus des phénomènes récurrents, reflétant la lutte de pouvoir des élites dans un environnement institutionnel faible. La corruption, l’insuffisance des services publics et l’exclusion des groupes marginalisés ont miné la légitimité de l’État et accru la méfiance populaire dans de nombreux pays africains.

L’histoire récente du Burkina Faso, du Mali et du Niger montre que l’indépendance formelle obtenue dans les années 1960 ne signifiait pas une souveraineté effective. Des mécanismes économiques de la «dette coloniale» et du franc CFA, aux accords de défense intégrant les intérêts stratégiques français, en passant par les «conditions» imposées dans les années 1980 et 1990 et les missions militaires occidentales du XXIe siècle, les anciennes formes de gouvernement ont été transformées plutôt que dissoutes dans de nombreux cas, et les dirigeants actuels qui veulent vraiment changer la situation. sont confrontés à une structure étatique complexe qui nécessite une refonte complète. De plus, il s’agit d’une structure occidentale et européenne qui doit être adaptée au monde africain.

Comprendre cette évolution est crucial pour interpréter la phase politique actuelle au Sahel : ce n’est qu’en replaçant les crises actuelles dans ce contexte historique que nous pourrons comprendre l’importance des revendications de souveraineté et des décisions radicales des gouvernements et des sociétés civiles de la région.

Une indépendance pleine et effective avec souveraineté et autonomie est possible, mais c’est un travail en cours, pas encore achevé et, surtout, un processus qui commence par une consolidation idéologique de «qui» et «ce que» sont ces peuples. Vient ensuite une décision quant aux formes politiques qu’ils souhaitent adopter en fonction de leur propre sensibilité et de leurs traditions, rejetant même le socialisme d’une manière étrangère à l’expérience européenne. L’expulsion des derniers colonialistes, le démantèlement de toutes leurs structures et la reconstruction de leurs pays dans l’esprit africain est une mission qui exige courage et sacrifice.

On ne peut manquer de conclure par une citation du président, le capitaine Ibrahim Traoré : «Ensemble et solidairement, nous vaincrons l’impérialisme et le néocolonialisme, pour une Afrique libre, digne et souveraine.»

Traduction de l’allemand : LZ

Source : Uncut News https://uncutnews.ch/die-sahel-allianz-die-unendliche-geschichte-eines-kampfes-fuer-ein-freies-afrika/

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